Attention, je m’appuie forcément sur des idées qui ne sont pas les miennes. Ce qui ne m’empêche pas d’avoir un avis à leur sujet, et d’écrire tout seul.
Je voudrais avant tout convaincre zuf, puis savoir ce que les autres en pensent.
Peut-on et doit-on laisser le peuple manifester, et le laisser maître de la méthode choisie ? Peut-on accepter la « dictature » de la rue ? La rue est-elle démocratique ?
Comme je l’ai dit à zuf, tout dépend de la définition que l’on donne à l’idée de démocratie. Dans son sens premier (on voit celui qui a lu son cours), la démocratie n’entend rien de plus que la puissance populaire, et sa libre expression. On ne parle donc pas ici d’autorité, ni de compétence, mais de force, dont on pourrait dire que le peuple l’exerce effectivement s’il le souhaite. Dire que la rue n’est pas démocratique est étymologiquement un contresens, la démocratie est presque un constat de la faculté insurrectionnelle du peuple, sous réserve qu’on lui accorde le droit de l’exprimer.
La conception actuelle de la démocratie néglige cette version, et tend à prendre la démocratie comme le système électoral à l’origine de nos représentants politiques. La logique investie dans cette définition est une logique élitiste, visant à déléguer le pouvoir politique du peuple aux personnes les plus compétentes (en matière politique, et par « incidence », en matière de communication). Il y a quelque chose de fondamental dans cette idée de souscrire ou non à une vision de la démocratie comme un système ou l’implication citoyenne se limite formellement en vue de la détermination de l’autorité, à l’acte du vote, et où des « professionnels » de la politique sont désignés. Pendant une période de 5 ans, des politiciens désignés auraient une entière liberté de gouvernement, et le peuple se verrait invalider toute tentative d’opposition aux politiques menées.
Le modèle de l’élection présente deux inconvénients : premièrement, il circonscrit l’acte citoyen à l’instant du vote, ce qui est susceptible d’en amener effectivement plus d’un à se désintéresser complètement des affaires politiques (ce qui en retour diminue sa faculté d’opter pour le meilleur candidat) ; et deuxièmement il suppose que la politique est une profession comme les autres, qu’elle doit être exercée par les personnes compétentes (cf la spécialisation qui nous met des oeillères), dont les intérêts, professionnels, ne sont donc pas différents de ceux de n’importe quels autres professionnels (à savoir aussi bien intellectuels et idéologiques, que matériels). Or il ne s’agit pas d’affirmer la compétence politique du peuple, le peuple est incompétent, mais cette incompétence traduit en un sens beaucoup mieux l’idée d’égalité, inhérente cette fois à l’idée de démocratie (qui place tous les individus sur un même niveau de pouvoir). Tous incompétents, mais la faculté de décider ce qui est juste ou non ne relève pas de la compétence, elle relève de l’expression populaire.
Le fait de céder, même temporairement (ceci est à mon sens critiquable dans la mesure où il serait impossible de contester immédiatement une mesure prise), la faculté de gouverner à un échantillon de politiciens, et dans ce laps de temps, perdre sa faculté de contester est en soi parfaitement anti-démocratique. Encore une fois, la question n’est pas de savoir si le système représentatif devrait être aboli, une gouvernance du peuple par le peuple est matériellement impossible. La question est de savoir ce que nous faisons de la force de contestation politique, qui est une puissance citoyenne, que la « démocratie » est censée nous garantir. La démocratie met en conflit l’Etat et le peuple, et c’est là son fonctionnement normal, et sain. Les gouvernés sont incompétents, mais la démocratie leur donne le droit de se rappeler à leurs gouvernants lorsque les décisions prises ne coïncident pas avec leur vision de la réalité.
Je ne connais pas vos passés d’activistes politiques. Ce que je sais, c’est que la crise du CPE a considérablement affermi ma conscience politique, que la participation à la contestation m’a fourni davantage de clés de compréhension du politique que les quelques malheureux cours d’éducation civique au lycée. A quel moment cette conscience devait-elle s’éveiller ? A quel moment devient-on citoyen ? Au moment de mettre le bulletin dans l’urne ? Que se passe-t-il avant ?
On peut toujours répondre que chacun est libre de son évolution intellectuelle. On peut toujours penser que la France pullule de méprisables paresseux, sur les bancs de la facs, vautrés sur des canapés, vivant sur des prestations sociales mal acquises, parasites de la société et sans ambitions. Qui par dessus le marché empêchent les autres de mener une vie normale. On peut se dire que l’on n’a pas attendu le CPE pour se forger une conscience politique. On peut penser beaucoup de choses, sans que personne ne vous demande des explications, et c’est ça, la démocratie dans l’isoloir.
La rue est démocrate. Le peuple est fou.